La décentralisation en question Dynamique des territoires et fracture numérique

Netsuds n°2

Michel Lesourd et Cheikhou ISSA SYLLA

La décentralisation en question
Dynamique des territoires
et fracture numériqueExemples du Sénégal et du Cap-vert

Article

Dans quelle mesure les NTIC contribuent-elles à la mise en œuvre de la décentralisation en Afrique ? Quelles sont les demandes, quelles stratégies d’équipement et quelles politiques sont mises en œuvre par les acteurs de la décentralisation ? Quels usages les responsables et les populations des collectivités locales font-elles des NTIC ? Rapprochent-elles acteurs économiques et pouvoirs locaux ? L’usage des NTIC contribue-t-il à diminuer les inégalités socio-spatiales, à produire de l’innovation territoriale et à promouvoir bonne gouvernance locale et démocratie ? La réponse à ces questions est parfois malaisée. On utilisera les situations constatées à l’occasion de recherches effectuées au Sénégal et en République du Cap-Vert.

Les collectivités territoriales face à la décentralisation

Rappel des politiques de décentralisation

Héritages : collectivités « crayon-gomme » et collectivités « branchées »

Les politiques locales

Politiques des États, décentralisation et accès aux réseaux

Une demande en NTIC variée mais insatisfaite

Les logiques variées des décideurs locaux

Des demandes structurées autour de quelques points

Des infrastructures pour permettre l’accès dans tous les territoires

La demande de base des services administratifs

Des équipements pour accompagner les infrastructures sociales en place

Stratégies d’acquisition de TIC au service de la collectivité

Démarchage auprès de l’État et revendications

La sollicitation des coopérations décentralisées

À l’écoute du démarchage international

La commande auprès d’un organisme public ou privé

Des équipements pour des usages et des contenus classiques

Un bilan encourageant mais limité

La création de nouvelles structures dans l’administration locale

Des équipements en progression, mais inégalement répartis

Types d’usages des TIC

Pour les services administratifs et la gestion du territoire

Pour la promotion de l’offre de nouveaux services

L’aide à la promotion économique du territoire

Promotion politico-culturelle et communication

Stratégie individuelle et mise en réseau

Problèmes, handicaps, stratégies d’avenir

Créer des « produits » NTIC pour le développement local

Aider au développement relationnel

Fractures sociales, fractures territoriales

1La politique de décentralisation mise en place depuis 1992 au Cap-Vert et plus anciennement au Sénégal a donné aux collectivités locales des pouvoirs étendus, tant en termes politiques (assemblées et présidents élus) que de gestion administrative. La situation des structures adminis­tratives de ces collectivités est généralement médiocre. Les ressources humaines sont insuffisamment formées, les ressources financières et techniques déficientes. Les initiatives du pouvoir local existent cependant. Elles visent d’abord à équiper et à renforcer les administrations, mais aussi à promouvoir, coordonner, valoriser des entrepreneurs et acteurs locaux privés, notamment en ce qui concerne certaines activités marchandes (tourisme, commerce international, transports) et éventuellement en relation avec des réseaux privés.

2Dans les deux pays, le développement local dans le cadre de la décentralisation n’est possible que si les différents acteurs du développement local trouvent des modalités de rencontre pour concevoir ensemble des projets de développement endogène-exogène « réinventés » et appropriés par les populations. La pratique du développement local est confrontée à deux difficultés : la mobilisation des structures impliquées ou qui pourraient l’être, et les modalités de communication entre structures locales, régionales (toutes deux « collectivités territoriales ») et les autres acteurs institutionnels (État, Opérateurs de développement, Institutions internationales).

3En quoi les NTIC peuvent-elles favoriser les synergies ? Quelles NTIC pour les espaces ruraux des territoires décentralisés ? Téléphonie rurale, téléphonie mobile, Fax, Internet, traitement de texte ? Quels sont les acteurs concernés, avec quelles priorités ?

4Quelles sont les contraintes actuelles à l’utilisation des NTIC dans la « coalition locale pour le développement » ?

5D’une manière plus générale, il est possible de formuler les interrogations suivantes :

  • -Dans quelle mesure les NTIC contribuent-elles à la mise en œuvre de la décentralisation en Afrique ? Quel est leur apport dans la gouvernance locale ?

  • -Quelles sont les demandes, quelles stratégies d’équipement et quelles politiques sont mises en œuvre par les acteurs de la décentralisation ?

  • -Quelles compétences sont requises pour la maîtrise des TIC, quelles stratégies doivent être mises en œuvre pour doter les collectivités des compétences nécessaires, quels outils doivent être maîtrisés pour la gestion territoriale ?

  • -Quels usages les responsables et les populations des collectivités locales font-elles des NTIC ? Rapprochent-elles acteurs économiques et pouvoirs locaux ?

  • -À quels problèmes et à quelles priorités ces collectivités territoriales sont-elles confrontées pour la réalisation de leurs politiques de développement local ?

  • -L’usage des NTIC contribue-t-il à diminuer les inégalités sociospatiales, à produire de l’innovation territoriale et à promouvoir bonne gouvernance locale et démocratie ?

  • -Quel est le rôle des collectivités locales dans le développement des NTIC ?

6La réponse à ces questions est parfois malaisée. On utilisera les situations constatées à l’occasion de recherches effectuées au Sénégal et en République du Cap-Vert.

Les collectivités territoriales face à la décentralisation

Rappel des politiques de décentralisation

7Comme d’autres pays africains, le Cap-Vert et le Sénégal ont engagé ou développé pendant la décennie 1990-2000 des politiques de décentralisation. Dans le cas du Sénégal, cette politique de décentralisation est très ancienne : elle fut pratiquée sous la colonisation française, avec l’élection de Dakar, Saint-Louis, Gorée et Rufisque au statut de communes de plein exercice dans la seconde moitié du XIXe siècle. Rappelons que ces politiques accompagnent généralement une autre évolution : celle du désengagement de l’État, incapable de faire face à ses obligations d’encadrement, appuyé par la Banque Mondiale qui a su imposer sa politique d’ajustement structurel et son modèle néolibéral. La privatisation ou la disparition des sociétés d’État a entraîné l’émergence de nouveaux lieux de pouvoir politiques, économiques, religieux : marchés ruraux, petites villes, carrefours. Elle a aussi eu pour conséquence le repli sur eux-mêmes d’espaces oubliés. La décentralisation voulue par les États accompagne ce processus d’autonomisation territoriale. Pourtant, entre bonnes intentions et mise en place des bases concrètes fonctionnelles, il y a beaucoup de marge.

8Les lois de décentralisation, au Sénégal comme au Cap-Vert, donnent aux collectivités locales des pouvoirs importants, notamment en matière de gestion territoriale (ressources environnementales, routes, assainissement), d’innovation économique et d’emploi. Mais les moyens transférés et les ressources propres ou attribuées suivent rarement les décisions juridico-administratives, et ces collectivités sont aujourd’hui fréquemment confrontées à la médiocrité et l’insuffisance de leurs ressources matérielles et humaines.

9- Au Sénégal, trois niveaux et maillages territoriaux coexistent depuis l’érection des régions en collectivités locales en 1996, alors que les communautés rurales avaient été créées en 1972 : les communes, lescommunautés rurales et les régions. Les deux sont en concurrence partielle en terme de gestion territoriale : le territoire de région n’est que la surface totale de celle des communautés rurales juxtaposées. Les administrations régionales ont reçu (de l’État ou d’autres donateurs) des équipements informatiques et, via les Agences Régionales de Développement, commencé à élaborer des programmes de gestion administrative, financière et d’aménagement du territoire. Elles butent sur la faiblesse des utilisateurs formés et des moyens techniques et financiers allant avec. Dans les communautés rurales, les ressources propres (taxe rurale principalement, difficile à collecter) sont dérisoires. Les conseils (élus) sont souvent peu intéressés par ces nouveaux outils de gestion et ont aussi d’autres priorités pour apporter davantage de bien-être aux populations locales.

10- Au Cap-Vert, la situation est différente : il n’y a qu’un seul échelon de décentralisation : le municipe, qui correspond à une île ou une fraction d’île et, le plus souvent, aux anciens concelhos (conseils). Le siège des nouveaux pouvoirs dans l’ancien pôle administratif renforce le rôle des villes existantes, promues ainsi capitales de région (municipe). Sous couvert de « culture du développement », le gouvernement a donné des compétences aux municipes, mais peu de moyens financiers et techniques. Il existe un « Plan National de Décentralisation de l’État », mais celui-ci ne peut fonctionner qu’appuyé par le PNUD (pour la définition du statut de la fonction publique territoriale), et la Banque Mondiale (appui à l’administration). Le transfert de la fiscalité est au cœur du problème de l’autonomie des municipes.

Héritages : collectivités « crayon-gomme » et collectivités « branchées »

Les politiques locales

11Les situations dans tous les domaines d’équipement, mais plus spécialement en matière de NTIC, au moment de la mise en œuvre effective de la décentralisation, sont différentes d’une collectivité à l’autre. À la fin de l’année 1998, l’administration du municipe de Praia (capitale du Cap-Vert) détenait 21 % du parc informatique des 16 administrations municipales ; les municipes isolés et à personnalité insulaire forte (São Filipe à Fogo, São Nicolau, Sal) étaient mieux équipés que les municipes de l’intérieur de l’île de Santiago, même relativement proches de Praia, et mieux que les deuxième et troisième villes du pays, pratiquement dépourvues d’ordinateurs. Peut-être faut-il voir là le résultat de l’influence de deux décennies d’intervention de coopérations étrangères actives soucieuses d’enracinement insulaire local.

12Au Sénégal, l’approfondissement de la décentralisation a fait naître un grand nombre de petits pôles de pouvoir dans chaque chef-lieu de communauté rurale, dans les communes et dans les dix capitales régionales du pays. Sept ans après la mise en application des lois de décentralisation et de transfert de compétences (1996), avec des équipements encore très embryonnaires, on peut affirmer qu’une très petite minorité de communautés rurales « branchées » côtoient beaucoup de communautés rurales « cahier-crayon-gomme » : où sont la modernité et l’équité de la nouvelle gestion territoriale décentralisée dans les campagnes sénégalaises ?

Politiques des États, décentralisation et accès aux réseaux

13Les territoires des collectivités et les administrations locales sont inégalement pourvus en moyens d’accès aux TIC, alors même que l’État aurait dû avoir le souci d’accompagner sa politique de décentralisation d’une réduction forte des inégalités sociospatiales au moins en termes d’équipement électrique et téléphonique. Les situations actuelles expliquent pourquoi les collectivités locales, notamment sénégalaises, ont comme première demande l’amélioration de leurs accès !

14Quelques rappels chiffrés permettent d’avoir une vision lucide de la question du rapport entre accès aux TIC et territoires décentralisés et rôle de l’État :

15Équipement en lignes téléphoniques fixes

16Au Sénégal, 862 localités rurales sur 30 000 sont équipées, alors que toutes les villes le sont. Moins de 100 villages par an sont actuellement raccordés au réseau. Dakar est équipé d’1 ligne fixe pour 20 hab., contre 1 pour 175 dans la région de Tambacounda et 1 pour 246 en Casamance. Le remarquable développement des télécentres n’a que partiellement résorbé les inégalités d’équipement. Même si l’évolution de la distribution spatiale des télécentres entre Dakar et les régions va dans le sens d’un rééquilibrage, 54,5 % sont à Dakar contre 45,5 % en région (ville + campagnes), il y a toujours un accès aisé (moins de 15 minutes à pieds) en ville. Dans les communautés rurales, l’absence ou la rareté du réseau filaire, ainsi que l’étendue de l’espace régional ou local sont très pénalisants (plusieurs heures de marche, parfois de transport en commun, même si le pays se targue de permettre à 70 % des sénégalais d’être en moyenne à moins de 5 km ou 1 heure à pied d’un télécentre…)

17Au Cap-Vert, la situation est meilleure. L’effort d’équipement en lignes fixes a été constant depuis plus de 15 ans. Ceci permet de comprendre l’importance des abonnements téléphoniques (2002) : 58 527 abonnés à une ligne fixe, soit 1 ligne pour 7,43 hab.. (extrêmes/île : 4,48-11,06). Mais les chiffres sont trompeurs : dans les « municipes » les plus ruraux (et les plus pauvres), le taux d’équipement en lignes fixes tombe à 1 pour 30… Des cabines publiques en ville et surtout des téléphones publics ruraux (170 pour tout l’archipel) complètent ce dispositif. Il existe des téléphones publics ruraux dans chaque municipe, à l’exception de l’île de Sal, mais en nombre assez variable, et qui ne satisfont pas forcément les besoins locaux (1 pour 620 hab. à Brava, mais 1 pour 4 156 hab. à Fogo). Le Cap-Vert, par contre, ne connaît pratiquement pas le système du télécentre. L’importance de l’habitat dispersé dans les îles montagneuses rend malaisé un équipement filaire intégral.

18Équipement en antennes pour le téléphone cellulaire

19Les infrastructures d’antennes relais mises en place ne permettent pas une couverture intégrale du territoire : au Sénégal, la SONATEL Alizé comme la SENTEL (deuxième opérateur) ont privilégié les villes et leur proche périphérie, les aires de forte densité et les axes de communication.

20Le résultat est toutefois remarquable (le nombre d’abonnés a été multiplié par 80 entre 1997 et 2002, soit actuellement 550 000 abonnés au Sénégal) et beaucoup de communauté rurale peuvent désormais communiquer. Son développement en milieu rural dense (ouest du Sénégal) constitue peut-être la seule véritable révolution technologique au service des espaces ruraux à faible intensité technologique.

21Au Cap-Vert, c’est en 1997 qu’a été mis en place le réseau terrestre de téléphonie mobile sous la norme GSM, la plus répandue en Afrique et en Europe. Mais certaines îles montagneuses aux vallées très étroites ne peuvent pas recevoir correctement ce type d’appels. Pour autant, on ne contestera pas l’effort remarquable réalisé ni la réduction de l’isolement en communications que ne parvenait pas à réaliser la téléphonie filaire. Dans ce pays, le téléphone mobile a connu une croissance exponentielle, mais moins importante qu’au Sénégal, sans doute en raison de la qualité du réseau filaire (31 507 abonnés, accessibilité pour 90 % de la population).

22Équipement en télécopie

23Si le fax est très répandu dans les centres urbains, il demeure toutefois très peu fréquent dans les campagnes sénégalaises, même au niveau des sous-préfectures et des centres semi-urbains. Au Cap-Vert, la couverture par des infrastructures publiques de télécopie correspond au même effort de distribution qui a conduit le pays à la promotion du téléphone public filaire. Cabo Verde Telecom a mis en place, depuis plus de 10 ans, des points publics de fax : tous les municipes sauf deux en ont 1, mais uniquement au chef-lieu. La ville de Praia en a 4, Mindelo 2. Malgré cette répartition, comme pour les points de téléphonie filaire (téléphones publics ruraux) et comme dans le Sénégal rural, le problème de leur accessibilité par les ruraux reste entier, l’éloignement des hameaux et des villages interdisant un accès aussi rapide qu’en ville.

24Politique financière et accès publics à Internet

25Les politiques de prix d’accès à une liaison Internet sont, au Sénégal comme au Cap-Vert, très médiocres : prix élevés, surtout pour des PMA, pour une liaison par ligne téléphonique, exorbitants pour une location de haut débit. À cela s’ajoute, au Sénégal comme dans certaines zones rurales du Cap-Vert, l’inexistence technique de la possibilité de raccordement, faute de ligne téléphonique.

26Les accès financés et installés par l’opérateur privé dans le cadre de son obligation de service public (et éventuellement d’initiatives communautaires liées à l’action des ONG, des pouvoirs municipaux, enfin de diverses initiatives privées) sont très inégalement distribués dans les espaces nationaux. Au Sénégal, à la fin de l’année 2001, il y avait 184 points d’accès publics (cybercentres publics, privés, associatifs) dans le pays ; 111 (63 %) se trouvaient dans l’agglomération de Dakar, 24 dans la région de Thiès et 14 dans celle de Saint-Louis. Les statistiques du nombre de points d’accès pour 100 000 hab. montrent la grande inégalité des situations régionales, situations d’ailleurs indépendantes des densités humaines : 4,77 pour l’agglomération dakaroise, mais seulement 1,16 pour Tambacounda, à peine 0,70 pour Kaolack et Louga, 0,50 ou moins pour Kolda, Diourbel, Fatick.

27La classique opposition entre une capitale « extravertie » et le reste du territoire mérite d’être nuancée : les milieux ruraux et plus encore les villes moyennes et petites sont désormais concernées par une ou plusieurs technologies de communication. Dans les municipes du Cap-Vert, téléphone fixe, fax et mobile ; au Sénégal, téléphone mobile, fax et quelques pôles d’accès Internet. La ville de Touba (Sénégal) rend bien compte des recompositions et des frontières nouvelles qui se mettent en place et qui créent des « îlots branchés » dans un océan de tradition non branchée. Mais partout les distances (temps, coût) en milieu rural sont extrêmement pénalisantes par rapport à celles des agglomérations urbaines. Dans certaines régions du Sénégal (département de Kédougou, région de Matam), il faut plusieurs heures, parfois un jour entier pour atteindre, en véhicule collectif, un accès. À pied ou en charrette, modes de circulation les plus fréquents à l’échelle des territoires villageoises et des « pays », il faut plusieurs heures aller-retour pour atteindre un téléphone fixe, un fax, un cybercentre.

28Au Cap-Vert, une avancée décisive, pionnière en Afrique de l’Ouest, s’est mise en place dès 1998 : dans le cadre de la politique de RAFE (Réforme Administrative et Financière de l’État), l’État a développé un réseau d’Intranet gouvernemental, opérationnel depuis 2000. La politique de couverture « universelle » en téléphonie filaire permet la communication électronique (avec modem) avec les collectivités territoriales, celles-ci pouvant aussi communiquer avec les principaux partenaires du développement national. La RAFE ambitionne de réaliser au Cap-Vert les conditions techniques d’un véritable gouvernement électronique. Enfin, le souci de l’État de promouvoir une « culture du développement » incluant les TIC se retrouve dans les trois grands programmes d’appui à la décentralisation au Cap-Vert : Plan de modernisation des municipes (Gouvernemental) qui équipe partiellement les collectivités, Plan National de Décentralisation de l’État (PNUD), Programme d’appui à l’administration municipale (Banque Mondiale).

Une demande en NTIC variée mais insatisfaite

Les logiques variées des décideurs locaux

29Les logiques des responsables des collectivités territoriales sont variées. Elles dépendent largement du caractère rural ou urbain de la population (et de ses élus), du caractère économique dominant de la collectivité territoriale, de son intégration territoriale par les infrastructures de base, de la présence de groupes actifs en matière de vie de relation (les migrants par exemple), de la formation et l’intérêt de ses dirigeants pour l’outil TIC. Au Sénégal, le conseil (élu) d’une communauté rurale agricole isolée (département de Kédougou par exemple) n’aura pas la même logique d’équipement que celui d’une commune (ville moyenne comme Louga par exemple) ou d’un territoire dominé par des acteurs migrants (communauté rurale de Mbacké, avec le « village » de Touba). La proximité de Dakar, la dynamique péri-urbaine, touristique et littorale, l’importance et la qualité des équipements, la personnalité de son président (universitaire), induisent dans la communauté rurale de Yène des logiques (et des stratégies) différentes en matière de TIC de celles d’une communauté rurale traditionaliste de la frontière sénégalo-guinéenne dépourvue de toute infrastructure électrique et téléphonique !

30L’on peut admettre qu’il existe trois types de logiques d’approches des TIC :

  • - celle des collectivités démunies et isolées, pour lesquelles les besoins sont en amont étant limités au raccordement au réseau téléphonique filaire (avec ensuite un télécentre pour le village par exemple), et un relais télévision.

  • - celle des collectivités rurales ou des petites villes où le fait migratoire constitue une dynamique forte (de Missirah, de Goudiry, de Moudéry dans la région de Tambacounda, région de Matam au Sénégal) et celles où il existe des groupes bien structurés de producteurs (agriculteurs, pêcheurs, maraîchers). Les autorités décentralisées, prenant en considération ces demandes sociales, mettent l’accent sur les antennes relais pour téléphonie mobile, les fax pour des télécentres communautaires, et, depuis peu, une demande informatique.

  • - celle des collectivités territoriales des villes moyennes et/ou déjà équipées à fort peuplement, voulant développer leur capacité de gestion administrative et d’aménagement territorial. Ainsi des municipes de Praia, São Vicente, Sal au Cap-Vert, des communautés rurales côtières, des villes de la plupart des régions sénégalaises. La demande en informatique de gestion, en formation, voire en bases de données locales en cartographie et SIG est forte, faite pour appuyer le travail des services locaux de cadastre et de planification, et surtout les Agences Régionales de Développement, service actif de la planification du développement local (Tambacounda, Saint-Louis, Thiès).

31Les logiques locales ne concernent d’ailleurs pas les seules nouvelles technologies de l’information et de la communication, mais également des infrastructures de base (eau, énergie, téléphone), de transport, des services (éducation, santé) et des moyens humains et financiers. En matière de NTIC, certaines communautés rurales ne demandent rien, seulement la déjà très ancienne téléphonie filaire. Ne nous y trompons pas : certaines de ces demandes sont, aux yeux des populations et des responsables des collectivités locales, beaucoup plus importantes et prioritaires que les NTIC. Au Cap-Vert, les autorités centrales se plaignent de la grande passivité de certains municipes face aux TIC, qui dérangent les habitudes et remettent en cause certaines positions de pouvoir.

32Mais, d’une manière générale, la demande des collectivités territoriales et la satisfaction de leurs besoins ne sont que très imparfaitement assurées.

Des demandes structurées autour de quelques points

33Pour autant qu’elles existent, les demandes de TIC peuvent être regroupées de la manière suivante :

Des infrastructures pour permettre l’accès dans tous les territoires

34En premier lieu et pour les raisons évoquées supra, la demande des collectivités pour des infrastructures contrôlées par l’État et les opérateurs nationaux est évoquée de manière prioritaire : raccordement de chaque chef-lieu de communauté rural au réseau électrique d’abord, ou, à défaut, équipement d’un générateur diesel ou solaire et réseau filaire local, qui sont perçus comme des NTIC. Ensuite, demande concernant les infrastructures de réseau téléphonique filaire et d’antennes et relais pour mobiles et télévision. Ce n’est qu’après que viennent les demandes d’équipement en matériel pour les administrations des collectivités locales et pour les services à la population. Mais ces demandes « en amont » des TIC sont loin d’être prises en compte par l’État ou l’opérateur national. Si au Cap-Vert, chaque village est désormais relié au réseau électrifié national et l’opérateur national a réalisé l’objectif de service universel que l’État lui avait assigné en installant au moins un poste téléphonique dans chaque localité de 200 habitants, au Sénégal, malgré la mise en service de la ligne électrique venant de Manantali (Mali) dans l’Est et le Nord du pays, la satisfaction des besoins basiques est très loin d’être réalisée.

La demande de base des services administratifs

35Elle est bien ciblée. Elle concerne l’acquisition de matériel pour les services en charge de la gestion de la collectivité, accompagnée d’une demande de formation.

36Les collectivités ne sont pas très exigeantes en ce qui concerne les performances du matériel informatique : comme il ne s’agit pas nécessairement d’utiliser le multimédia, les demandes en puissance et mémoire sont ordinaires, et se calent sur les technologies du moment. On reste le plus souvent dans le binôme ordinateur-imprimante, la photocopieuse apparaissant plus utile que le scanner, l’onduleur plus nécessaire que le lecteur Zip et le graveur de CD Rom. Notons que si les bureaux sont demandeurs d’appareils de télécopie, ils ne le sont pas de téléphonie mobile, ce type d’appareil étant considéré comme une commodité privée et non comme un possible outil de travail.

37La demande de formation concerne la maîtrise de l’usage des logiciels classiques de bureautique, mais aussi une formation technique à la maintenance et à la réparation. Plus rare est la demande technique d’ingénierie logicielle proprement dite, avec apprentissage des langages usuels de programmation, au contraire de la formation à l’Internet et à la création de sites Web qui, elle, est très demandée.

38La connaissance du territoire et de ses ressources apparaît comme un enjeu important, mais les bases de données et les systèmes d’information géographiques ne sont pas perçus comme une technique indispensable d’aide à la décision, alors que l’outil informatique et le téléphone mobile semblent être des moyens de connaissance et de mise en relation des acteurs de l’aide au développement.

39Au Cap-Vert, les services de la RAFE répondent partiellement à la demande municipale, puisque sont mis à disposition une base de données gouvernementale, une autre pour améliorer le système de comptabilité municipale, une formation à l’Internet. Surtout, elle permet aux collectivités d’obtenir, via Internet, des formulaires et des services du gouvernement central.

40Au total, la demande est insuffisamment satisfaite malgré l’accompa­gnement de la décentralisation par l’État (mais avec très peu de moyens) et l’affirmation du partenariat de la coopération décentralisée.

Des équipements pour accompagner les infrastructures sociales en place

41Les NTIC sont d’abord demandées comme un accès public aux services administratifs déconcentrés de l’État en région et aux services administratifs de la collectivité locale. Ceci concerne particulièrement le « guichet unique » que beaucoup d’administrations centrales souhaitent offrir aux citoyens. Au Sénégal, ce système n’existe pas. Au Cap-Vert, il est partiellement opérationnel, grâce à la RAFE (Réforme Administrative et Financière de l’État), initiée dès 1997, qui offre désormais des facilités en terme de documents administratifs à chaque citoyen (transmission électronique de bordereaux aux collectivités locales).

42Les collectivités locales se préoccupent ensuite d’accompagner les principaux services éducatifs, de santé et éventuellement culturels de l’État en région en créant de nouvelles structures ou en encourageant celles-ci lorsqu’elles existent. Plusieurs municipes cap-verdiens se sont engagés dans cette politique, avec l’aide de diverses coopérations. Ainsi, le municipe de Paùl (Île de Santo Antão) dispose-t-il depuis 2002, grâce à la coopération néerlandaise, d’équipements informatiques et d’une salle pour les jeunes. À Tarrafal (Santiago), les autorités municipales ont obtenu de leur coopération avec le Luxembourg l’équipement d’un centre de documentation. Le municipe de Santa Catarina a approuvé l’installation en 2001 d’un télé-cybercentre communautaire géré par l’Association des Femmes de Santa Catarina et financé par l’UIT et Cabo Verde Telecom.

43Il est toutefois permis d’affirmer que les initiatives émanant proprement des collectivités locales demeurent embryonnaires, en partie parce que les politiques informatiques locales le sont. Constatons que ce sont bien souvent les bailleurs de fonds qui proposent d’abord aux collectivités, ou même se passent de leur avis en traitant directement, même pour des projets régionalisés, avec les autorités centrales du pays. On évoquera ici l’hôpital rural installé en 2002 à Nénéfesha (Département. de Kédougou) par l’ONG « décentralisée » française Coopération 92 et « Éducation et Santé », ONG sénégalaise proche de la présidence de la République, qui abrite une expérience pilote de télé-médecine. Certes, la communauté rurale (Bandafassi) du département et la Région de Tambacounda ont été associées à l’opération dont elles bénéficient, mais elles ne l’ont ni initiée, ni pilotée. Il en est de même des expériences de télé-médecine menées dans cette même région par la Force d’Intervention Sanitaire et Satellitaire Autoportée (FISSA, qui dépend du CNED, Centre National d’Études Spatiales français) et le Ministère sénégalais de la Santé, associés à l’ONG « Éducation et Santé » : la FISSA se déplace dans la région et réalise ses consultations villageoises avec son matériel mobile, et les collectivités territoriales (même la Région) ne sont en rien les initiatrices du programme.

44Les collectivités locales, soucieuses de satisfaire des demandes locales, notamment des jeunes, de contribuer au désenclavement, à la formation et au développement économique, commencent à formuler auprès des bailleurs de fonds et de l’État des demandes à usage social local. Il faut souligner que, dans ce domaine, les collectivités locales ont, depuis longtemps, dans le cadre des PLD (Plan Local de Développement) initiés par l’État et les Nations Unies, élaboré des politiques, formulé des revendications et hiérarchisé des priorités. Mais celles-ci ne tenaient pas particulièrement compte du besoin « nouveau » de TIC, et faisaient plutôt la part belle au soutien à des réalisations à vocation économique.

45Les demandes récentes concernent plus particulièrement des réalisations pour les jeunes, avec des équipements TIC, comme des salles polyvalentes, des centres de documentation à vocation de promotion locale, et des accès communautaires aux communications quand celles-ci manquent. Dans la communauté rurale sénégalaise de Kothiary (département de Bakel), les projets sont, comme ailleurs, initiés par le Conseil rural et de multiples réunions pluri-villageoises, dans le cadre du « Programme d’appui à la décentralisation et à la gouvernance locale » financé par l’USAID. Le Conseil a inscrit dans son plan de réalisation un centre culturel pour les jeunes, financé par une association de Brest (France) et construit par les jeunes de la communauté rurale. La même association française va équiper en matériels (parmi lesquels du matériel informatique) ce centre culturel. Par rapport aux priorités affichées, l’équipement informatique est secondaire, mais il est intéressant de souligner que dans une communauté rurale relativement bien équipée (électricité, téléphone, route goudronnée), ce type de réalisation est tout de même pris en compte. Les politiques menées par les municipes Cap-verdiens, bien équipés en électricité et téléphonie rurale, ne sont pas différentes : Tarrafal, Paul, Ribeira Grande, Sal, São Filipe ont initié et réalisé depuis 1998 des projets comparables.

Stratégies d’acquisition de TIC au service de la collectivité

46Elles sont variées pour être plus efficaces, mais ciblées parce que les partenaires sont connus.

Démarchage auprès de l’État et revendications

47Il se fait auprès des ministères de tutelle pour que ceux-ci appuient les demandes de financement des collectivités territoriales, mais aussi pour que la politique de déconcentration administrative de l’État (délégations, directions régionales déconcentrées) soit profitable à la collectivité et complémentaire de la démarche décentralisée.

48L’existence d’une politique informatique dans le pays permet aux collectivités territoriales de revendiquer auprès de l’État et de s’appuyer sur lui : ainsi au Cap-Vert, dont le Plan National de Développement Informa­tique prévoit, à terme, de parvenir à un « gouvernement électronique », voit-on les municipes demander des équipements, des formations et des techniciens afin de mener à bien la réforme de gestion financière qui leur est imposée par l’État lui-même, mais pour laquelle celui-ci n’a jamais donné de moyens d’accompagnement conséquents. De même, l’existence d’une autorité chargée de la décentralisation implique une forte concertation entre collectivités et représentants de cette autorité (au Cap-Vert, le Secrétariat d’État à la Décentralisation et au Pouvoir local)

49En même temps, les collectivités tentent de faire pression sur l’opérateur national (en situation quasi monopolistique) et sur le gouvernement, via les organismes chargés du dossier (Agence de Régulation des Télécommuni­cations au Sénégal), afin de faire modifier une politique de prix d’accès aux usages des TIC jugée excessivement chère, antidémocra­tique et obstacle au progrès technologique. Mais les logiques financières continuent de prévaloir, au Cap-Vert comme au Sénégal, au détriment de l’équité sociospatiale et des logiques de la décentralisation.

La sollicitation des coopérations décentralisées

50Sans toujours se soucier du PNDI, les municipes du Cap-Vert sont allés chercher des dotations en matériel moderne auprès de diverses coopérations internationales. Mais les initiatives prises et les résultats obtenus, comme les stratégies spatiales d’intervention des coopérations sur le territoire du Cap-Vert maintiennent d’importantes différences entre collectivités et sont causes de divers problèmes.

51Les problèmes sont connus : matériel techniquement surdimensionné ou inadapté, présence excessive du partenaire. Le municipe capverdien de Tarrafal, dépourvu de techniciens compétents et formés a reçu en 1998 d’une coopération, pour des usages essentiellement de bureautique administrative, un matériel de qualité fonctionnant sous Unix, toujours plus difficile à maîtriser que Windows de Microsoft ou les matériels Apple… Deux ans plus tard, le matériel était en panne et aucun technicien ne pouvait intervenir. Certaines collectivités se reposent même entièrement sur des partenaires, au risque de voir leur pouvoir de décision contesté.

52Cette politique du « chacun pour soi » n’est cependant pas sans effets positifs : elle permet aux collectivités de se procurer rapidement des équi­pements, en faisant jouer des solidarités et des synergies établies parfois depuis longtemps. Le municipe de Praia était équipé dès 1996 d’un SIG venu d’une collaboration avec un bureau d’études lié à Coopération 92, ONG officielle du Département. des Hauts de Seine (France). La ville de Praia a donc dès 1997-1998 réalisé un remarquable travail de cartographie cadas­trale et d’aménagement urbain, formé (en France) plusieurs techniciens qui ont animé le Cabinet d’Études et de Planification. La coopération luxembourgeoise pratique au Cap-Vert cette coopération décentralisée avec quelques municipes comme Tarrafal (Santiago), équipé d’une salle de documentation et d’ordinateurs et Ribeira Grande à Santo Antão pour l’office du tourisme local. Ailleurs, ce sont des jumelages qui en constituent le socle : la connaissance du terrain, les relations de confiance facilitent cette politique. À Paùl (Santo Antão), la coopération décentralisée initiée entre le municipe et la ville de Saint-Polten (Autriche) a permis, avec la participation financière active d’une association de Cap-Verdiens émigrés, l’installation d’une salle multimédia comprenant six ordinateurs pour les jeunes. Elle aura entre autres pour rôle d’établir le compte rendu des activités de la municipalité. Ceci s’ajoute aux cinq ordinateurs offerts par les Canaries, à cinq autres donnés par le Portugal, et aussi à ceux attribués par le gouvernement.

À l’écoute du démarchage international

53Les sociétés des pays développés ont, ces dernières années, multiplié les démarches commerciales auprès des pays faiblement équipés. Elles ont d’abord équipé les directions ministérielles, mais la multiplication des structures locales de pouvoir et de décision les incite désormais à aller en région multiplier leurs offres. Au Cap-Vert, ce sont des sociétés espagnoles ou françaises qui proposent actuellement aux autorités municipales des « paquets » comprenant images satellitales et leurs logiciels de traitement, ainsi que des logiciels SIG permettant de réaliser des bases de données et des cartographies des territoires municipaux. La Région Autonome des Canaries a développé des actions de solidarité dans le cadre du réseau des petits pays et régions insulaires, et la France parce qu’elle appuie officiellement le gouvernement capverdien dans sa politique de décentralisation, ce qui est bien utile pour « vendre » son savoir-faire technologique. Au Sénégal, des sociétés intervenant depuis longtemps dans certaines régions du pays pour le développement agricole et rural (SODEFITEX, SAED) créent désormais des SIG pour leur usage spécifique : ils servent de modèle aux collectivités locales, et les Agences Régionales de Développement sont de plus en plus réceptives au démarchage international.

La commande auprès d’un organisme public ou privé

54Pour obtenir un ou plusieurs produits utiles à l’administration territoriale, les collectivités locales s’adressent à des organismes nationaux compétents. Ainsi de plusieurs régions du Sénégal, qui ont demandé au Centre de Suivi Écologique (CSE), organisme privé chargé par l’État sénégalais de faire connaître les principaux problèmes environnementaux du territoire, de leur fournir des bases de données et une cartographie informatisée de leur territoire. Au Cap-Vert, chaque Municipe s’est vu proposer par la société gestionnaire de l’énergie électrique du pays, dès 1998, un équipement informatique avec logiciel pour la gestion de l’énergie électrique sur son territoire. Certaines collectivités ont acquis des logiciels de calcul et de dessin pour la gestion des travaux publics municipaux et l’architecture auprès de sociétés privées.

55Les priorités des collectivités locales sont souvent ailleurs que dans les TIC. La demande est très inégale. Les politiques d’État en matière de TIC pour la décentralisation sont d’efficacité variable. La satisfaction de la demande des pouvoirs décentralisés demeure incomplète. L’ensemble génère de forts contrastes socioterritoriaux.

Des équipements pour des usages et des contenus classiques

56Les politiques et les stratégies d’équipement commencent à porter leurs fruits. Le bilan est encore très modeste, mais encourageant. Les usages sont encore limités. Ils gagnent peu à peu en importance, mais demeurent largement réservés à l’élite politico-administrative et sociale des collectivités locales.

Un bilan encourageant mais limité

La création de nouvelles structures dans l’administration locale

57Les TIC contribuent à la modernisation administrative par la réorganisation des services qu’elles induisent. Certes, les demandes de TIC sont rarement budgétisées en tant que telles, et le plus souvent incluses dans des budgets d’équipement généraux, les « services de gestion informatique » n’apparaissant que rarement dans les organigrammes. Mais la création de nouvelles structures municipales affirmant l’usage des TIC commence à se faire. Au Cap-Vert comme au Sénégal, ce n’est que très récemment que l’on constate une modification significative des organigrammes administratifs ou budgétaires : fin 2001, dans son « Projet-cadre de réorganisation des services », l’important municipe de São Vicente (avec la deuxième ville et capitale économique du pays) prévoyait la création d’une division « Informatique » dans son Cabinet Technique et d’une division « Organi­sation et informatique » comme sous-direction du Cabinet d’Études et de Projets, accompagnée d’un programme de formation continue. Mais ces réorganisations sont encore peu fréquentes. Au Sénégal, les administrations régionales s’en préoccupent (Thiès, Tambacounda), mais pas les communautés rurales. Faut-il voir là l’expression de l’absence de priorité accordée à l’informatique (sauf la bureautique et l’Internet) et plutôt le souci de développer télévision et services téléphoniques communautaires, utiles au plus grand nombre, surtout non alphabétisé ?

Des équipements en progression, mais inégalement répartis

58Malgré le rythme lent d’acquisitions de TIC et l’inégalité considérable des situations des collectivités, des progrès existent. Au Cap-Vert, une enquête de janvier 1999 auprès des 16 municipes révélait un équipement informatique bureautique relativement bon, un sous-équipement en logiciels spécialisés et surtout un déficit en techniciens et en formations. Sur les 191 ordinateurs constituant le parc des administrations locales, 48 % étaient des Pentium (dont 11,5 % des Pentium II). Mais aucun ne dépassait la puissance de 266 MHz et 3,2 Go de mémoire. 16 % seulement des ordinateurs disposaient d’un modem (et 5,2 % étaient connectés). Les personnels « sans formation » représentaient 19,4 % du total, beaucoup plus en réalité, 20 % s’affirmant « auto-formés ».

59En 2002, les résultats d’une enquête partielle, et diverses données statistiques montrent que tous les municipes sauf un disposaient d’au moins une adresse électronique (8 pour la Câmara municipal de Praia), de fax et de téléphones filaires. Dans des municipes-témoins, l’équipement a augmenté, quantitativement et qualitativement : à Tarrafal (Santiago), 11 nouveaux PC en 2001, à Paùl (Santo Antão), on est passé de 8 à 25 ordinateurs municipaux, dont 8 connectés, à São Vicente, de 5 à 28, à Ribeira Grande, bien équipé depuis longtemps (25 ordinateurs en 1998), la jouvence d’une grande partie du matériel a été réalisée.

60Au Sénégal, les plans d’équipement des administrations régionales ont su mettre en évidence l’acquisition nécessaire de nouveaux outils de gestion. À ce niveau, les collectivités sont assez bien équipées, mais les personnels sont, dans l’ensemble encore très insuffisamment formés. Les Agences Régionales de Développement (ARD) ne disposent encore que d’outils bureautiques et non de matériels (scanner grand format, imprimante Ao etc.) et de logiciels SIG utiles pour la gestion spatialisée des territoires, et encore moins de personnel technique spécialisé.

61Les contrastes sociospatiaux exprimés supra en matière d’équipements régionaux de base et d’accès publics aux TIC se retrouvent-ils dans les équipements actuels des collectivités ? Aucune étude récente ne permet de l’affirmer, mais des informations ponctuelles montrent que les situations locales sont extrêmement inégales. Au Cap-Vert, Praia concentrait, début 1999, 21,4 % des ordinateurs « municipaux » du pays, et certains municipes insulaires isolés étaient bien équipés (São Filipe, São Nicolau, Ribeira Grande, Sal). Certains l’étaient au contraire très mal : Santa Communauté ruraleuz, Santa Catarina, São Domingos (Santiago), Mosteiros (Fogo) : résultat du manque de sensibilisation des dirigeants municipaux, expression d’une politique hiérarchisée des priorités territoriales du gouvernement, désintérêt des coopérations internationales pour ces territoires surpeuplés et pauvres ? Au Sénégal, les communes urbaines sont mieux équipées, semble-t-il, que les communautés rurales. Les régions se défendent mieux en terme de demande et de satisfaction des besoins que les communautés rurales. Ceci renvoie aux personnels dirigeant ces collectivités, aux besoins de base, satisfaits ou non.

Types d’usages des TIC

62Les usages des TIC se multiplient, mais d’une manière générale, ils demeurent limités et souvent encore embryonnaires. Les réalisations sont variées, mais classiques :une généralisation progressive de la gestion informatisée des informations collectées pour la connaissance des hommes et du territoire, la création de sites Internet : vitrine de la région et base de l’offre de services. Mais l’accompagnement des services de l’État en région (services éducatifs, sociaux, santé) constitue une préoccupation importante d’investissement. Elle est partiellement satisfaite au Cap-Vert (installation en cours d’un Intranet gouvernemental qui relie tous les services de l’État et les services des collectivités territoriales), très insuffisante au Sénégal.

Pour les services administratifs et la gestion du territoire

63Il s’agit de l’informatisation de la gestion administrative, financière et des ressources humaines du territoire. La situation actuelle est très contrastée, et va de l’informatisation effective de tous les services de la collectivité à l’absence totale, en passant par une informatisation partielle, réduite aux services financiers, au secrétariat général et au secrétariat des responsables politiques et techniques, auxquels on peut ajouter l’utilisation publique et privée de l’outil (incluant courrier électronique et Internet) par le responsable principal et éventuellement un ou deux collaborateurs. En l’absence d’étude approfondie sur cette question au Sénégal, il est possible d’estimer que l’usage administratif partiel des TIC concerne désormais la totalité des collectivités régionales et peut-être des communes. Mais aucune collectivité n’a informatisé la totalité de ses services. Quant aux communautés rurales, plus des deux tiers d’entre elles sont encore aux technologies du crayon-gomme, un bon tiers ne disposant ni de l’électricité ni du téléphone…

64Un des usages les plus prometteurs des NTIC concerne la gestion territoriale informatisée pour le cadastre foncier, l’environnement, les réseaux de circulation et d’infrastructures, les ressources naturelles, agropastorales et minières, avec des bases de données et des SIG et permettant la mise en place d’observatoires. Mais les collectivités locales sont confrontées au double problème des ressources financières et humaines leur permettant d’installer et utiliser ces outils. Leur mise en place dépend de leur capacité à mobiliser l’aide internationale. Comment valoriser un outil SIG « mis à disposition » sans disposer auparavant d’un solide et cohérent appareil statistique ? Comment réaliser des documents d’aide à la décision sans le travail d’un technicien compétent et rémunéré ?

65La politique et des aménagements mal coordonnés ne facilitent pas les choses. Praia a été un précurseur en matière d’utilisation de SIG pour la gestion foncière et d’équipements dans le cadre de son Plan de Développement Urbain (cf. supra). La municipalité a réalisé un remarquable travail cadastral et d’aménagement urbain, son Cabinet d’Études et de Planification a été le premier (1998) au Cap-Vert à doter une administration locale d’un outil moderne de gestion territoriale. Mais la couleur politique du municipe a changé en 2001 : la nouvelle équipe n’a pas su ou voulu gérer l’outil et l’équipe de techniciens du Cabinet a été dispersée. La municipalité est revenue aux vieilles méthodes avant de comprendre, en 2003, l’utilité du SIG existant. Au Sénégal, ce n’est que très récemment (2003) que des villes et des collectivités locales importantes comme Thiès ou Louga disposent d’outils de gestion performants. Les autorités régionales de Tambacounda ont commandé un SIG au CSE, qui sera prochainement opérationnel.

66Il existe des SIG réalisés par des sociétés d’aménagement. Mais ils ont une finalité bien précise, différente des objectifs de gestion des territoires décentralisés (SIG de la SAED, SIG à vocation de gestion de la zone cotonnière sénégalaise de la SODEFITEX (Société de Développement des Fibres Textiles au Sénégal), en cours d’élaboration) et ils couvrent des espaces autres. Les régions commencent pourtant à se tourner vers ces outils, qui peuvent leur fournir de précieuses informations sur certains problèmes de développement et une partie des ressources et de la géographie de leur territoire.

Pour la promotion de l’offre de nouveaux services

67Il s’agit d’abord de services administratifs aux citoyens : la mise en place d’un « guichet unique » pour la satisfaction des besoins en documents administratifs n’est pas aisée et encore rare. La faiblesse des moyens propres des collectivités renvoie à l’opportunité et l’efficacité du partenariat. Ainsi, au Sénégal, la FRAO (Fondation Rurale pour l’Afrique de l’Ouest) aide des Communautés rurales comme celle de Mboula (département de Linguère) à s’équiper d’un « centre d’information et de communication » relié à Internet pour produire localement les pièces administratives que les populations ont beaucoup de mal à se procurer. Dans cet exemple, le groupe électrogène permettant l’usage de TIC fait partie du « paquet » de NTIC… On peut presque parler de réalisation-pilote.

68Au Cap-Vert, l’État, plus volontariste, permet désormais aux collectivités d’offrir ce service à leurs administrés, via le courrier électronique ou les sites Internet du gouvernement. Mais rares sont encore les points publics d’accès en dehors du chef-lieu de municipe : la population doit se déplacer, parfois à pieds et sur de longues distances, et les projets d’installation de points municipaux d’accès public « déconcentrés » sur le territoire municipal sont encore à financer, même si les lieux sont déjà prévus.

69Mais l’effort le plus significatif des collectivités concerne l’ouverture de salles informatiques et centres de documentation informatisés pour les jeunes et des cybercentres soit municipaux soit par l’intermédiaire d’associations aidées et encadrées par la collectivité locale, et éventuellement des coopérations, comme la réalisation d’un cyber-centre par l’Association Française des Volontaires du Progrès (AFVP) en région de Tambacounda (pas dans sa capitale, mais dans le village de Dialacoto, à plus de 80 km). Quelques collectivités territoriales capverdiennes connaissent de belles réussites : Tarrafal, Ribeira Grande, Paùl, Assomada, São Filipe sont toutes équipées.

70Le secteur éducatif échappe aux collectivités, mais celles-ci peuvent contribuer à l’installation de centres de formation sur leur territoire autant que, indirectement, à l’équipement des lycées et collèges locaux.

71Une des questions concernant les usages concerne le développement de synergies par les TIC entre les responsables des collectivités locales et les acteurs locaux du développement économique. Ce sont surtout des entrepreneurs privés « en région » qui s’intéressent aux TIC comme outil pour améliorer leur information et surtout leur communication avec leurs partenaires. L’ordinateur est pour eux de peu d’intérêt, au contraire du téléphone mobile et éventuellement du fax. La souplesse d’utilisation du portable leur évite des déplacements coûteux. Dans la région de Tambacounda (Sénégal), les 2/3 des 15 grossistes interrogés ont adopté portable et fax (en plus du téléphone fixe), mais un seul le courrier électronique, trop coûteux et beaucoup moins adapté à leurs pratiques « orales ». Il ne s’agit là que de stratégies individuelles : aucun grossiste n’avait noué de lien avec les autorités régionales, et ces dernières non plus, sauf avec les représentations officielles des milieux professionnels (Chambre des Métiers de Tambacounda). Le site Internet du Conseil Régional de Tambacounda ne fait pas mention de ce type d’acteurs, ni de partenariat.

72Comme les régions sénégalaises, les municipes cap-verdiens ont des politiques économiques. Mais celles-ci n’apparaissent pas sur les rares sites Internet créés, sinon sous une forme publicitaire, notamment en ce qui concerne le développement touristique. Les collectivités locales ne semblent pas encore arrivées à ce type d’utilisation. Ce sont les acteurs locaux qui, dans quelques régions, valorisent collectivement leur activité grâce aux TIC : Marktest, société privée capverdienne, spécialisée dans les services, a réalisé un site sur lequel se trouve un annuaire électronique des entreprises du pays (sur la base d’une participation volontaire). La synergie s’est faite avec les deux Chambres régionales de Commerce et d’Industrie du pays, mais pas avec les collectivités : la taille de ce maillage, et peut-être la nature (politique) des partenariats ne semblent pas convenir.

73Il en est de même des associations de producteurs et des coopératives sénégalaises qui utilisent depuis peu des TIC, et notamment le téléphone mobile : elles sont sans relation formelle avec les pouvoirs politiques locaux.

Promotion politico-culturelle et communication

74Les collectivités sont-elles tentées d’utiliser les TIC comme moyen de promotion, outil publicitaire, mais aussi comme outil de communication sociale et comme arme politique ? Oui, dans la mesure où elles ont été capables de créer un site Internet, et à condition que ce site soit actualisé, ce qui est loin d’être le cas. En fait, la plupart des informations concernant les collectivités territoriales se retrouvent sur des sites gouvernementaux, qui les présentent ensemble (cas du Cap-Vert) ou des sites privés (à caractère touristique notamment). On peut affirmer que, jusqu’à présent, au Cap-Vert comme au Sénégal, il n’existe pas véritablement de politique locale d’utilisation de l’Internet.

75Avec les partenaires et bailleurs de fonds, la communication est active : gouvernement, ONG, organismes d’intervention, autres collectivités territoriales. Le listage des bailleurs de fonds ainsi que des associations de développement permet un meilleur contrôle et une coordination spatiale des différents intervenants sur le territoire.

76En matière d’action politique, la question des TIC en milieu rural comme en ville se focalise sur les radios et télévisions locales privées et/ou commu­nautaires. La question est sensible : détenir un outil de communication de ce type constitue un avantage considérable pour un parti, un groupe, un ou des notabilités locales. La bataille politique dans les collectivités locales sénégalaises et capverdiennes gène l’installation et la multiplication des radios communautaires, pourtant bien utiles à la population (et à la démocratie). Sans doute n’en est-il pas de même partout, ainsi au Niger ou au Burkina Faso où existent de belles réussites.

77On peut ranger dans cette catégorie l’utilisation des TIC crées par d’autres acteurs du développement, partenaires des collectivités décen­tralisées, et qui profitent à ces dernières. L’État, comme principal promoteur de l’usage des NTIC, montre l’exemple. Ainsi, l’Intranet mettant en relation les institutions gouvernementales, les institutions municipales et les principales institutions internationales du Cap-Vert. La « contraction spatiale » est évidente : même les îles-municipes physiquement isolées, comme Brava, sont désormais reliées, en temps réel, à l’ensemble du pays. Mais même si l’État, par ses services déconcentrés, mène une action régionalisée d’équipements notamment dans les secteurs éducatifs et de santé publique, on constate une concentration des programmes innovants et des expériences pilotes en TIC dans les services centraux et les établissements scolaires principaux des capitales. Dakar, Praia, comme collectivités locales en sortent renforcées.

Stratégie individuelle et mise en réseau

78Les stratégies individuelles d’usage des TIC par les collectivités sont dominantes. Les TIC sont peu dissociables d’autres usages et entrent dans les divers comportements des collectivités : les TIC n’ont pas encore provoqué de révolution dans les stratégies de recherche de l’aide ni dans l’organisation générale des administrations et du travail.

79Des réseaux se forment pourtant. Au Cap-Vert, il existe une Association Nationale des Municipes (ANMCV) qui tente de fédérer les actions des différentes collectivités, de créer des synergies en termes d’initiatives et de résolution des problèmes locaux, de banque de données administratives et financières municipales, de faire des économies d’échelle grâce à la mise en commun de données et de techniques directement liées à l’usage des TIC.

80Les municipes restent cependant très individualistes, mais une Association des Municipes de Santo Antão existe depuis 2000. Elle met en commun les problèmes de gestion municipale et certains aspects du développement économique des territoires. Seuls les trois municipes de l’île de Santo Antão se sont organisés en réseau informatisé (Association des Municipes de Santo Antão). C’est seulement en 2002 que certains municipes (São Vicente, Santa Catarina) ont amorcé une réforme en profondeur de leurs équipements et des usages allant avec. Au Sénégal, il existe des associations des maires (AMS), des présidents de conseil régional, des conseils ruraux, qui se rencontrent à la Maison des Élus locaux à Dakar.

81Au Sénégal, des communautés d’intérêt et de problèmes rapprochent certains territoires. Les synergies mises en place sont liées à l’existence de réalisations à caractère partiellement régional : SIG de gestion environnementale et agropastoral de la SAED dans la vallée du fleuve Sénégal par exemple, qui concerne plusieurs communautés rurales souhai­tant au moins bénéficier des acquis de l’outil réalisé.

82Mais il existe également un type de clivage bien particulier et très répandu en terme d’usage à l’intérieur même des administrations : entre responsables et employés. Au Cap-Vert comme au Sénégal, les NTIC sont le plus souvent de fait « confisquées » par les élites municipales : le maire et son secrétariat disposent d’ordinateurs (le maire a, en général, un ordinateur portable pour son usage exclusif), ses adjoints et quelques chefs de service sont également équipés. Mais les agents subalternes n’y ont guère accès et, même s’ils ont reçu une formation, n’en font pas (encore) un usage professionnel. Dans certaines administrations, l’accès Internet est régle­menté, voire interdit, par peur de voir les agents surfer pour leur plaisir au lieu de travailler, et aussi afin de limiter les coûts, l’opérateur national ne pratiquant aucune réduction tarifaire aux administrations.

Problèmes, handicaps, stratégies d’avenir

Créer des « produits » NTIC pour le développement local

83Plusieurs orientations d’actions susceptibles d’améliorer la contribution des NTIC au développement local peuvent être dégagées.

84-Améliorer la communication, donc les synergies entre les structures d’intervention pour faciliter la conception concertée de projets : forums d’information et de discussion. Les forums peuvent aussi être des lieux de concentration d’informations « brutes » que chacun (ONG, Gestionnaire, Association, Individus…) peut utiliser pour échanger et se concerter : présentation de tel ou tel organisme d’intervention, présentation de tel problème révélé par la presse ou toute autre source, et possibilité d’en discuter.

85- des banques de données pour les collectivités locales: les systèmes d’information doivent être consultables par toutes les parties. Un des principaux problèmes des collectivités locales consiste à rassembler des données statistiques et qualitatives qui concernent leur territoire. Ces informations sont utiles pour l’aide à la décision. Le défi est de construire un « modèle » de BD pour les collectivités, utilisables par les différents acteurs, à la fois scientifique et simple, pratique, valorisant la cartographie territoriale.

86-Aider les partenaires privés et les associations dans leurs stratégies de développement économique : et gérer des observatoires de filière, de secteurs économiques, de « conjoncture » à l’échelle régionale. C’est peut-être dans ce domaine que les gestionnaires, qui doivent être aussi les « animateurs » peuvent contribuer à l’essor économique. Le secteur privé est au cœur du développement économique local, et les initiatives prises par des individus entreprenants ou des groupes (GIE, GPF), devraient être soutenues par une fourniture d’information « stratégique » souvent difficile à obtenir en région et en temps réel.

Aider au développement relationnel

87Un enjeu important est la question des appuis réciproques entre la collectivité politico-administrative et les acteurs économiques privés pour le développement local. Des initiatives des groupes locaux de producteurs (associations, GIE, etc.) existent, mais ne sont pas forcément répertoriées ni coordonnées. Des utilisateurs dans les réseaux sociaux, notamment les émigrés, travaillent partiellement en concertation, selon l’échelle du problème considéré, avec le pouvoir régional et/ou local (ou les structures déconcentrées de l’État), quand il s’agit d’infrastructures encore absentes (école, bureau de poste, marché). Avec les opérateurs de développement (Sodefitex au Sénégal) et leurs pratiques, les relations semblent bien établies et les TIC commencent à jouer leur rôle.

88Un autre enjeu est le fonctionnement des relations entre l’État et les collectivités locales, notamment en ce qui concerne la place des grands programmes nationaux de développement définis avec les collectivités locales, par exemple, au Sénégal, le Programme National des Infrastructures Rurales (PNIR). Tous ces programmes de réduction de la pauvreté, d’équipement, contrôlés par l’État, peuvent être considérés comme des obstacles à la prise de responsabilité des collectivités locales. Comment pourraient-ils devenir, au contraire, des structures de promotion des NTIC dans les territoires nés de la décentralisation ?

Fractures sociales, fractures territoriales

89Les perspectives offertes par les « nouvelles » technologies de l’information et de la communication ont suscité en Afrique les plus grands espoirs en terme de « rattrapage » de développement et de réduction des inégalités. Malgré le caractère récent du phénomène, les tendances qui se dessinent en matière d’équipement et d’usage semblent aller dans le sens du renforcement du pouvoir urbain et singulièrement de celui des villes-capitales. Mais les nombreux réseaux et les acteurs ruraux qui utilisent ces technologies créent de nouvelles dynamiques qui désenclavent, associent les espaces, les relient davantage à la ville ou à l’étranger.

90Les États se sont engagés dans des politiques de décentralisation afin de donner davantage d’autonomie et d’initiative aux pouvoirs locaux. Elles appellent une forte maîtrise de la gestion des territoires, mais les collectivités sont encore loin d’y parvenir. Une politique vigoureuse d’accès publics et communautaires commence, localement, à se mettre en place : la population sera la dernière servie, malgré la volonté de promouvoir le « guichet administratif unique » et les points d’Internet communautaire. À la fracture numérique spatiale s’ajoute bien une fracture sociale, plus importante encore sans doute, mais il est permis de penser qu’elle se réduira au moins partiellement dans les années à venir.

91L’iniquité sociospatiale prévaut cependant partout : la contraction spatiale va de pair avecles fractures numériques. La contribution des nouvelles technologies à la réduction de la fracture socioterritoriale dans les États et à l’intérieur des territoires décentralisés demeure, en l’état actuel des choses, médiocre. De nouvelles inégalités apparaissent, notamment entre les territoires urbanisés (et pôles décisionnels), relativement bien équipés, et les territoires ruraux isolés, entre collectivités territoriales de base (au Sénégal les communautés rurales) et les collectivités intermédiaires (au Sénégal, les communes et les régions). Les TIC ne suppriment pas les contraintes, mais creusent les différences : de nombreux territoires échappent à leurs effets structurants. Les initiatives locales et les environnements humains et économiques demeurent faibles, « l’innovation territoriale » (accès publics, réseaux d’intranet locaux, formation des entreprises locales aux TIC) est limitée.

92On peut donc s’interroger sur la capacité des TIC (au-delà de l’apport d’information en temps réel créé par les téléphones mobiles) à soutenir, en région, une gestion de qualité des services publics, à favoriser l’éducation à la démocratie, et à être mises au service d’un mieux-être social, surtout dans les espaces ruraux isolés. Les TIC ne sont-elles qu’un élément parmi d’autres, et peut-être pas le plus important ni le plus prioritaire, permettant à la collectivité territoriale de produire du développement ?

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Université de Rouen, France

Université Cheikh Anta Diop,
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